Focus sur la collection dessins de KBR
Les dessins conservés dans le Cabinet des estampes de KBR sont longtemps restés dans l'ombre des estampes, et sont, par conséquent, aujourd’hui, moins connus du grand public. Pourtant, depuis 2013, des efforts intensifs ont été déployés pour rendre accessible cette importante collection, notamment via la bibliothèque numérique Belgica. Daan van Heesch, son conservateur, nous révèle comment, lui et son équipe, travaillent à la conservation et l’étude de plus de 700 000 œuvres sur papier.
Ancien chercheur postdoctoral à la KU Leuven, Daan van Heesch y a également obtenu, en 2019, son doctorat en histoire de l'art. Sa fascination pour le dessin remonte à 2013, lorsqu’il rédige sa thèse intitulée Le carnet de croquis d’Anvers ; une recherche passionnante au sujet des pratiques de copie et de diffusion du 16e siècle. Depuis septembre 2020, ce passionné est le nouveau conservateur de la Collection d’Estampes et de Dessins de KBR.
La Bibliothèque Royale abrite la plus grande collection de dessins de Belgique. Que contient cette collection unique ?
Le Cabinet des estampes de KBR conserve environ 25.000 dessins du XVIe siècle à nos jours. La collection comprend environ 3.500 pièces de maîtres anciens, mais la majorité sont des dessins d'artistes belges des XIXe et XXe siècles. Les pièces les plus prestigieuses comprennent des œuvres des Grands Maitres tels que Pierre Bruegel l'Ancien, Joris Hoefnagel, Hendrik Goltzius, Pierre Paul Rubens et Jacob Jordaens. Nous préparons actuellement un catalogue richement illustré qui présentera les cent plus beaux dessins de maîtres des Pays-Bas.
Outre les noms les plus célèbres, la collection contient également des dessins de peintres, sculpteurs, architectes et designers moins connus. Tous les types de dessins sont représentés, des études architecturales et des conceptions de décors aux carnets de croquis, en passant par les travaux topographiques et même les dessins de cour.
Quels sont les chefs-d’œuvre modernes de la collection ?
Nous sommes fiers de notre collection de dessins belges du XIXe siècle, avec des chefs-d'œuvre d'artistes tels que Félicien Rops, Fernand Khnopff, Léon Spilliaert et James Ensor. Le pastel provocateur intitulé La Tentation de Saint Antoine (1878) de Rops, dans lequel une femme voluptueuse apparaît au saint comme un Christ crucifié, provoqua un véritable scandale en son temps et constitue, aujourd'hui, l'un des points forts de la collection.
Qu’en est-il du dessin contemporain ?
Le dessin belge après 1970 n'est que marginalement représenté dans KBR. Ce serait un rêve de pouvoir également développer une collection représentative de dessins contemporains mais, pour l'instant, les ressources disponibles ne nous permettent pas de le faire.
La collection abrite-elle également des œuvres étrangères ?
KBR conserve également de modestes mais belles collections de dessins provenant d'autres zones géographiques. Par exemple, les dessins des artistes vénitiens Domenico Campagnola et Giambattista Tiepolo sont de magnifiques exemples de l'Ecole italienne.
Le dessin non occidental est représenté par un ensemble exceptionnel d'aquarelles africaines des années 1920 et 1930. Ces dessins pionniers ont été réalisés par des artistes congolais tels que Djilatendo ainsi qu’Antoinette et Albert Lubaki, dont le travail a marqué ce que l'on appelle le début de l'art congolais moderne dans l'histoire de l'art européen.
Quelle est la politique d’acquisition de la Collection d’estampes et de dessins ?
La politique d'acquisition du Cabinet des estampes est axée sur la collecte d'œuvres sur papier des Pays-Bas méridionaux et de la Belgique, toutes périodes confondues. Nous suivons de près le marché de l'art et nous nous concentrons principalement sur les lacunes existantes dans les sous-collections telles que les dessins de maîtres anciens et l'art belge du XIXe siècle.
Compte tenu de notre budget d'acquisition relativement limité et des prix records actuellement payés pour l'art des Pays-Bas méridionaux et de la Belgique, nous sommes de plus en plus dépendants de fonds externes pour pouvoir acquérir des œuvres d’échelons supérieurs du marché de l'art. Grâce à la Fondation Roi Baudouin, KBR s'est, par exemple, enrichi ces dernières années de superbes dessins préparatoires d'estampes de Hans Bol et de pas moins de 86 dessins de l'artiste bruxellois Richard van Orley.
Pouvez-vous me donner un exemple d’acquisition récente ?
En 2020, nous avons pu acquérir un dessin monumental du symboliste belge Jean Delville. Il s'agit de La Justice Moderne, une étude préliminaire pour l'une des grandes peintures que l'artiste a réalisées entre 1907 et 1914 pour le Palais de Justice de Bruxelles. Les peintures originales illustrent le développement de l'administration de la justice à travers les différentes époques historiques. Toutefois, pendant la Seconde Guerre mondiale, ce magnum opus a été perdu dans un incendie provoqué par des soldats allemands. Les descendants de Delville ont heureusement conservé une série de grands dessins très détaillés des tableaux perdus. Nous avons pu acquérir une dernière pièce de la collection familiale, qui constitue un ajout important à la collection fin-de-siècle de KBR.
Vous intéressez-vous également au dessin contemporain ?
J'essaye de visiter régulièrement tout au long de l'année des expositions d'oeuvres contemporaines sur papier. L'une de mes dernières découvertes est Stefan Serneels, dont les magistraux carnets de croquis ont récemment été exposés au Garage du Musée Hof van Busleyden de Malines : perspectives déformées, intérieurs bourgeois et personnages méconnaissables sont les éléments caractéristiques de son œuvre. Ces dernières années, j'ai également été fasciné par l'œuvre dessinée de Philippe Vandenberg et je suis de près les activités de la fondation qui gère la succession de l'artiste.
Le dessin occupe une place particulière dans l'histoire de l'art. Quel est votre avis sur l'importance de cette pratique à travers l’histoire ?
Le dessin est l'une des formes les plus anciennes d'expression et de communication humaine. Il a toujours été là et le sera toujours. À la Renaissance, l'art du dessin était considéré comme le fondement de toute activité artistique. Ce support a permis aux artistes de développer et d'affiner leurs capacités de création. Au XVIe siècle, l'art du dessin acquiert également une dimension plus intellectuelle : le médium n'est plus seulement considéré comme une compétence professionnelle, mais aussi comme l'expression prééminente de l'inventivité humaine.
Après tout, les dessins ne sont pas seulement des produits finis, mais aussi des manifestations du processus créatif des artistes. Le dessin est également fascinant en tant qu'objet matériel : il est tactile et vulnérable et offre, comme aucun autre médium, un aperçu intime de la quête créative de l'artiste pour de nouvelles formes et significations.
Plus d’infos sur la collection dessin de KBR :
- Historique du Cabinet des Estampes
- Collection des estampes et dessins
- Belgica, le moteur de recherche de la collection numérisée de KBR
Crédits photos :
Home - James Ensor, Masques, © KBR – Estampes et dessins, inv. S.IV 241
1. Daan van Heesch, KBR
2. Disciple de Jérôme Bosch, Mendiants et invalides, ca. 1520-1540, © KBR – Estampes et dessins, inv. S.II 133708
3. Antoinette Lubaki, Européen transporté dans un hamac, ca. 1920-1930, © KBR – Estampes et dessins, inv. S.V 12795
4. Félicien Rops, La Tentation de Saint Antoine, 1878, © KBR – Estampes et dessins, inv. S.V 86652
5. Hendrick Goltzius, Cruyck vis, 1569, © KBR – Estampes et dessins, inv. S.V 62409